Laissez-la pouponner vos poupées !
Aujourd'hui, les poupées françaises
sont chinoises. Elles ont beau avoir les cheveux blonds et les joues roses, peu de risque de s'y laisser prendre : du vinyle à bas prix qui n'est pas là pour durer
soit tout le contraire de ce qu'on trouve derrière la vitrine de Marie-Line Lemoine : « Je travaille sur des poupées qui peuvent avoir deux siècles
et qui, du coup, ont souvent besoin d'un petit coup de jeunesse ». Nouvelle garde-robe, rafraîchissement, et bien souvent, chirurgie esthétique qui confine à la résurrection ».
Plus bricoleuse que maman !
Marie-Line Lemoine a fait ses classes à l'école Boulle, la plus prestigieuse des écoles d'arts appliqués de l'Hexagone, qui a réveillé en elle une passion d'enfance : « J'ai fabriqué ma première poupée de tissus à 7 ans. C'était encore l'époque des Corolle, des Bella, des Gégé
et déjà, un peu, des Barbie. Mes copines jouaient à la maman, mais moi, c'était plutôt la construction, la transformation, le bricolage des poupées qui me passionnait. Puis ça m'a un peu passé. Ce n'est qu'à la fin de mes 5 années à Paris que l'arrivée d'un professeur qui venait du monde du jouet a réveillé en moi d'anciens souvenirs. Après divers petits boulots, je me suis installée ici, dans ma ville, pour vendre et réparer des poupées ». Et très tôt, sa clientèle va l'orienter exclusivement vers la réparation : « Les clients se sont mis à m'apporter de plus en plus de poupées délabrées. Et bientôt, je n'ai pas eu le temps de faire autre chose. Je suis devenue exclusivement restauratrice de poupées anciennes ».
Un métier plutôt rare, puisque Marie-Line ne compte pas plus de dix confrères en France.
Du coup, sa clientèle dépasse les frontières régionales. Ses poupées viennent de toute la France, d'Europe, et même parfois de plus loin : « Il y a quelques années, une Californienne m'a envoyé un bébé Raynal en Rhodoïd coupé en deux. La poupée était originaire de France et elle tenait à ce qu'elle soit réparée dans son pays d'origine.
Comme pour les autres, elle s'en est occupée avec passion et professionnalisme : « Les poupées nous racontent des histoires
et ont aussi leur histoire. Quand je reçois un modèle, je consulte d'abord ma documentation pour faire une réparation la plus fidèle possible. Après vient la partie technique, la fabrication des moules, la réparation de la porcelaine avec de la résine, du Celluloïd avec du Celluloïd fondu, récupéré sur des pièces de poupées anciennes inutilisables
avec toujours le souci de mettre l'objet en valeur sans le dénaturer, et de s'approcher de l'état originel, sans masquer la restauration. Pour moi, il est nécessaire qu'un spécialiste puisse voir qu'une restauration a déjà eu lieu, ne serait-ce que pour nos successeurs en cas de nouvelle restauration ».
Dons anonymes
Évidemment, les clients de Marie-Line ne sont plus des petites filles depuis longtemps, mais plutôt des professionnels, antiquaires, brocanteurs, et des particuliers nostalgiques du temps passé : « Les poupées ont une énorme valeur sentimentale. Dans certaines familles, elles se passent de mère en fille
mais séduisent aussi les hommes ». Et parfois même des inconnus : « Il m'est arrivé plusieurs fois de retrouver devant ma vitrine un carton de vieilles poupées brisées, très précieux pour moi toujours à la recherche d'un Celluloïd en voie de disparition ».
Des morceaux de poupées vite classés dans les tiroirs de Marie-Line, avant de reprendre vie, un jour.
(*) Compte tenu de l'extrême inflammabilité du Celluloïd (On en fait des balles de ping-pong), Rhône Poulenc a conçu dans les années 20 une nouvelle matière plastique à base d'acétate de cellulose, transparente et incombustible. De nombreuses poupées vont alors utiliser ce Rhodoïd.